Construire avec le sérieux d’un enfant qui s’amuse. Leitmotiv d’Emmanuel Saadi, le propos transparaît rue Desnouettes. Le poste de commandement centralisé de la ligne 12 du métro et ses 47 logements marquent le paysage. L’édifice signale sa présence avec une audace tant volumétrique que colorimétrique. Rien de gratuit ou presque. A la RATP, au jeu, ses règles.
«Il s’agit d’un bâtiment extrêmement contraint par le PLU et je n’aime pas les réglementations car nous arrivons par leur biais à des discussions absurdes», dénonce Emmanuel Saadi.
Par une pluvieuse matinée de décembre, l’architecte présente au Courrier un édifice qui, au premier regard, laisse imaginer la liberté de son concepteur. En somme, le 43bis offre les atours d’un geste.
Erreur. Les contraintes régissent un ensemble qui cependant défie l’ordre parisien.
L’histoire du poste de commandement, à son image, n’est pas linéaire. A l’origine, une rencontre, celle de Rémi Feredj, directeur du département des espaces et du patrimoine de la RATP et d’Emmanuel Saadi.
«La RATP avait lancé un concours rue des Maraîchers et voulait, semble-t-il, tester des architectes. Le deal était simple : il y aurait un lauréat mais ceux dont les propositions auraient intéressé seraient repris pour d’autres opérations», explique l’architecte.
Badia Berger remportant le projet, Emmanuel Saadi fut invité à travailler sur un premier programme dans le XVe arrondissement, rue Desnouettes justement. «La problématique était différente, il s’agissait de concevoir un bâtiment de stockage et cinq logements», résume-t-il.
La rénovation de la ligne 12 enjoint la RATP à revoir sa stratégie.
La Régie décida donc d’implanter en lieu et place un poste de commandement centralisé et, en sus, de valoriser le terrain par la construction de logements, principalement sociaux.
Depuis 2006, de POS en PLU modifiant le gabarit constructible de la parcelle, le projet pris forme cependant et d’aucuns passant rue Desnouettes ne peuvent envisager l’ampleur, au final, de l’opération.
En effet, depuis l’artère, une étroite parcelle ne révèle que la partie émergée de l’iceberg : quelques blocs verts, comme suspendus, qui défient l’alignement.
Le programme exigeait que l’espace, large de dix mètres, offre un accès vers les parkings souterrains et un accès piétonnier à la petite ceinture*, située à l’arrière du terrain. Ne restait plus qu’un espace réduit pour des fondations tandis que les porte-à-faux n’en devenaient que plus impératifs.
«Il s’agissait d’un programme de bureaux ; en résumé, celui d’un cube. Nous avons donc imaginé une structure verticale avec un ascenseur et avons procédé par jeu d’assemblages», explique l’architecte.
«Le poste de commandement exigeait une salle de 120m². Il n’y avait que peu de possibilités pour la positionner. Il fallait donc, en premier lieu, résoudre son positionnement au sein de l’ensemble», poursuit-il.
Cette partie élaborée en priorité, «à cause des délais industriels», l’agence a étudié la faisabilité du programme de logements. «Nous avions cette fois une problématique liée aux vues. Les architectes-voyers de la ville considèrent en effet la barre voisine comme un bâtiment en vis-à-vis ; les vues directes n’étaient donc pas tolérées».
Pour ne rien compliquer, l’étude de faisabilité a montré que la viabilité de l’opération reposait sur l’addition de huit T1. Ces huit logements ont été, in fine, positionnés en porte-à-faux au-dessus du passage conduisant à la petite ceinture.
«Il y a quelque chose qui appartient au monde de l’enfance. Nous avons tous, petits, cherché à faire tenir un cube sans qu’il ne tombe. Plus grands, nous avons découvert la colle pour le fixer. Ici, nous avons joué le jeu de la réalité constructive», souligne Emmanuel Saadi.
Ludiques, les volumes en saillie s’affirment, verts eux aussi. La teinte ? «Personne ne m’a jamais posé de question sur la volumétrie dont je n’étais pas certain qu’elle soit acceptée ; la couleur a, en revanche, focalisé l’attention», souligne l’architecte, qui précise que le choix appartient davantage aux ABF qu’à lui-même.
«Notre proposition était d’habiller l’ensemble d’acier Corten. Nous avions fait, au cas où, d’autres projections à partir de différents coloris», note Emmanuel Saadi. L’architecte des Bâtiments a finalement tranché.
«Le Poste de commandement est un signal et la ville était preneuse ; le vert donc. Le vert aussi pour marquer l’accès au futur parc de la petite ceinture. Il y a, certes, un côté trivial mais cela ne me dérange pas», assure l’architecte.
«Je ne suis pas aussi intégriste qu’Adolf Loos, je préfère aller dans l’abstraction», soutient l’architecte lorsqu’il évoque les premières esquisses du projet où l’«épine dorsale» de l’ensemble, dorénavant grise, était vêtue d’un habillage au motif floral.
Aujourd’hui, le calepinage à la perforation abstraite repose sur un principe aléatoire. «Les tôles s’imbriquent les unes aux autres selon les percements». Pour note – souvenez-vous des prospects -, les ouvertures sont multiples et diverses. D’abord, régler le problème des vues principales, finalement déportées sur le côté des cubes en saillie, puis ensuite, à l’intérieur des appartements, parfaire les conditions d’ensoleillement et d’éclairage.
«Ce principe résulte de l’expérience de l’hôtel industriel de la rue Losserand et de la répartition des cellules photovoltaïques en façade. Nous les avions initialement groupées pour finalement les disperser de façon aléatoire. La lumière est ainsi mieux répartie et, surtout, à l’intérieur, plus uniforme malgré les ombres», indique-t-il.
En résumé, au 43bis, Emmanuel Saadi a développé une lumineuse architecture d’interstice(s).
Jean-Philippe Hugron
* La ligne dite de la petite ceinture est une ancienne ligne de chemin de fer à double voie longue de 32 kilomètres faisant le tour de la capitale. Désaffectée depuis les années 80, elle promet aujourd’hui d’être reconvertie en parc urbain.
Fiche technique
Construction du poste de commandement centralisé de la ligne 12 du métro et de 47 logements au 43 bis rue Desnouettes – Paris 15e.
Maîtrise d’ouvrage : RATP / SEDP
Maîtrise d’oeuvre : Emmanuel Saadi Architecte avec François da Silva et Jean-Louis Rey / SIBAT BET
Surface parcelle : 3.786m²
Surface totale projet : 5.716m² SHON (PCC : 1.346m² – Logements : 4.370m²)
Montant travaux : PCC : 5,4M€ / Logements : 8M€
Faisabilité février 2006 / PC décembre 2007 / Biennale Internationale d’Architecture de Venise 2008 / Chantier octobre 2009 / Livraison PCC septembre 2011 / Logements janvier 2012
article issu de: http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_2726